Dans quel contexte les acteurs de l’habitat social se saisissent-ils des outils numériques ?
Gilles Haudestaine : Le logement social représente 5,2 millions de logements en France, soit un sur six. En 2017, toutes formes confondues, il existait encore un millier d’organismes en charge de leur gestion. Sous l’effet de la loi Elan notamment, une forte concentration a été réalisée et nous sommes moins de 500. Ce mouvement va se poursuivre.
De très importants chantiers de rénovation des parcs sont à engager, à divers titres, pour la qualité de l’habitat mais aussi notamment des obligations de la loi Climat et résilience.
A titre d’exemple, le parc de Lille Métropole Habitat compte 35000 logements dont la moyenne d’âge est de 43 ans. Parmi ceux-ci, 9 000 présentent encore des diagnostics de performance énergétiques en classes E - et quelques-uns encore F et G - qu’il faut basculer à un niveau de performance supérieur d’ici 2034. En outre, nos organismes doivent accroître le nombre de logements disponibles au regard des besoins et des objectifs des politiques locales de l’habitat.
D’importants investissements sont donc indispensables. Or, nous sommes confrontés à deux difficultés majeures : l’explosion des coûts de rénovation et de construction et, dans le même temps, l’augmentation du taux du livret A sur lequel sont indexés nos financements. Par ailleurs, nos loyers, encadrés par l’IRL, progressent moins vite que nos charges d’exploitation (coûts de maintenance, structure, taxe foncière, etc.). Par conséquent, nous avons une contraction de notre auto-financement qui ne nous permet plus de faire face à ces enjeux.
En 2022, LMH a lancé un projet d'entreprise ambitieux, baptisé CAP26, sous l'impulsion de sa nouvelle gouvernance. Ce plan vise à réhabiliter notre parc pour le remettre à niveau sur les plans technique et énergétique, tout en développant de nouvelles constructions pour élargir l'offre de logements sociaux. L'investissement prévu s'élève à 2,5 milliards d'euros sur les dix prochaines années.
Ce contexte en général - et ce projet d’entreprise pour ce qui nous concerne - réclame d’organiser l’efficacité de notre travail, dans tous les services, à tous les niveaux. Il s’agit d’aider chacun dans ses fonctions et que les efforts accomplis débouchent sur les meilleurs résultats possibles. La place du numérique devient plus qu’essentielle : elle y est déterminante.
En quoi le numérique constitue-t-il un levier véritable et pas une simple mode ?
G. H. : Le traitement des données est essentiel pour un bailleur social, que ce soient celles concernant nos locataires (niveau de revenu, composition du foyer, etc.) ou celles relatives à notre patrimoine (durée d’âge de nos équipements par bâtiment, etc.).
Par exemple, connaitre la composition d’un foyer permet de gérer la sur ou sous-occupation d’un logement. Pour notre patrimoine, la bonne collecte et analyse de la data peut permettre de passer en maintenance préventive, et ainsi anticiper les pannes et maitriser les coûts induits par un remplacement de matériel au moment opportun.
La numérisation de ces opérations et la centralisation des informations est donc essentielle afin que toutes les données importantes soient organisées, vérifiées et partagées. Cela permet de générer des tableaux de bord tenus à jour quotidiennement et de prendre en charge un nombre croissant de procédures, qu’elles concernent le bâti ou les locataires. C’est ce que nous avons mis en place chez LMH. L’apport du numérique, c’est donc d’abord d’assurer une meilleure collaboration et de générer une efficacité supérieure dans notre action, chaque fois qu’il est utilisé.
Quelles sont les étapes à venir en matière de numérique pour LMH ?
G. H. : Pour la partie gestion de la relation avec les locataires, nous allons procéder à la dématérialisation du bail. Par ailleurs, nous sommes en train de nous doter d’un outil de gestion de projets adaptées à la conduite de nos opérations immobilières. Celles-ci durent en moyenne 5 ans et requièrent un suivi très méticuleux adapté à chacune que notre outil actuel ne peut assurer.
En outre, nous sommes en train de numériser l’ensemble de notre parc, avec des outils 3D, pour disposer d’une connaissance extrêmement précise. Il s’agit d’une modélisation des informations du bâtiment, appelée aussi BIM pour Building Information Modeling.
Enfin, il y a un sujet qui va advenir très certainement, celui du passage de la maintenance curative à une maintenance prédictive, grâce à la combinaison d’outils nous permettant de mieux connaitre et suivre notre patrimoine et d’apport de fonctionnalités via, notamment, le recours à des outils d’intelligence artificielle. Il en découlera une amélioration de la qualité de l’exploitation de nos équipements et des services apportés aux locataires. Nous en sommes très loin, mais nous l’avons en tête pour pouvoir en tirer profit quand les outils seront matures et que nous serons prêts à les intégrer.
Comment les choix stratégiques ont-ils été faits en matière de numérique ?
G. H. : L’équipe dirigeante est très récente puisque la plupart de ses membres est arrivée il y a trois ans environ. C’est elle qui a élaboré le projet Cap 26. Pour cela, l’ensemble des équipes opérationnelles, en central et dans les agences, ont été réalignées.
Et cela passe par une feuille de route numérique élaborée autour d’enjeux majeurs : l’amélioration de la qualité de service, de la transparence à propos de la facturation, une meilleure connaissance des clients et de leurs besoins, une meilleure connaissance de notre patrimoine, un accroissement de la productivité interne pour aider les agents tout en réalisant des économies.
Par ailleurs, cette feuille de route doit intégrer l’augmentation importante du volume des données traitées, son traitement pour en assurer des usages intelligents. Enfin, et de manière structurante, nous allons changer notre ERP (Enterprise Resource Planning, soit en français progiciel de gestion intégré) afin de gagner en autonomie et assurer notre souveraineté quant à nos données et à notre capacité à faire les évolutions dont nous avons besoin sans trop dépendre d’un tier.
Comment mesurez-vous l'impact du numérique sur votre performance ?
G. H. : En externe, les effets vont rapidement se mesurer à travers les résultats obtenus lors des enquêtes de satisfaction des locataires. En interne, dans un premier temps, le ressenti des collaborateurs va devoir être mesuré, à propos du décloisonnement que ces transformations appellent, des changements de pratiques. Il nous faudra mesurer l’appropriation des outils dans les équipes. Enfin, il y aura des indicateurs d’amélioration de la performance par exemple sur nos délais de paiement de nos fournisseurs ou la baisse des impayés.
Pour les bailleurs sociaux de manière générale, je pense que la progression de notre culture numérique et des progrès réalisés par chacun dépendra de notre capacité à collaborer entre nous, même si nous sommes parfois en concurrence pour la réalisation d’opération de constructions.
Ce partage d’interrogations, de nos réalisations, de nos échecs, de nos réussites serait un indicateur d’un progrès pour le secteur. En prenant le meilleur de chacun, la performance opérationnelle serait supérieure. Il serait utile que les fédérations œuvrent à l’émergence de plates-formes numériques favorisant le partage de données. Cela aiderait chacun dans sa gestion qui, ne l’oublions pas, doit se faire dans l’intérêt général.
Derrière tous ses projets et toutes ces transformations, la question de la cybersécurité est très importante. Comment y faites-vous face ?
G. H. : Nous gérons de nombreuses données sensibles, sur les ressources de nos locataires, la composition des familles, sur nos bâtiments. La sécurité informatique a donc bénéficié d’investissements importants pour rendre nos infrastructures beaucoup plus robustes et renforcer la cybersécurité. Pour notre DSI, l'enjeu n'est pas de craindre une éventuelle attaque, mais d'être pleinement préparés à y faire face si elle survient. Bien que cette approche soit nouvelle pour nous, nous avons fait d'importants progrès et sommes désormais en mesure d'assurer une meilleure résilience.