Créé en 2013 du regroupement de la Cantine, premier espace de coworking en France, et du Camping, premier accélérateur français de startups, le NUMA s’est imposé en deux ans comme une organisation phare du numérique. A la fois espace de coworking, d’expérimentation et d’accélération, il défend un modèle d’innovation unique, basé sur l’humain et les communautés. Aujourd’hui, il passe à un nouveau stade de son histoire pour exporter son modèle à l’international. L’occasion de faire le point sur les enjeux de la transformation numérique avec Claudio Vandi, directeur des programmes d’innovation chez NUMA.
Quelles sont pour vous les grandes caractéristiques de la transformation numérique des entreprises ?
Les entreprises vous paraissent-elles avoir bien intégré ce mode de fonctionnement ?
Claudio VANDI : La plupart des entreprises ont compris que la transformation digitale passe d’abord par l’humain. La question qui se pose aujourd’hui concerne surtout les modes d’action. En tant qu’accélérateur de startups, nous choisissons d’abord l’équipe et ensuite le projet. Comment cette équipe réfléchit-elle ? Comment travaille-t-elle ? Réunit-elle les bonnes compétences ? Lorsqu’un projet échoue, ce n’est pas tant à cause d’une mauvaise idée que d’une mauvaise équipe. Nous avons reçu cette année 650 candidatures de startups pour être accéléré au NUMA et nous appliquons ce critère de sélection à chacun des projets que nous accompagnons. Même chose avec les entreprises qui font appel à nous. Nous travaillons avec leurs équipes, non pas sur des produits, mais sur des objectifs et des problématiques business. A cet égard, notre rôle est d’abord méthodologique. Il relève du coaching et vise avant tout à apprendre aux équipes à acquérir une zone d’autonomie pour pourvoir elles-mêmes à leurs besoins. Il faut donc aborder le passage au NUMA comme une période de prototypage, d’expérimentation, de test, de risque.
Vous arrive-t-il d’être confrontés à des blocages de la part des équipes que vous accompagnez ?
Claudio VANDI : Les blocages que nous observons reposent souvent sur des idées fausses. La première tient au préconçu selon lequel certains auraient une meilleure vision de l’avenir que les autres, qui seraient quant à eux bloqués par une forme d’ignorance. Pour ma part, je suis incapable de dire par exemple quelle technologie remplacera les voitures actuelles. Je pense d’ailleurs qu’il n’existe aucun moyen de le savoir. Il est possible en revanche d’observer les tendances afin de saisir les bonnes opportunités au bon moment. L’important est de se doter d’une méthodologie opportuniste, de garder les yeux ouverts pour conclure rapidement des partenariats et s’ouvrir aux nouveaux modèles économiques. Cette attitude favorise l’émergence d’organisations à la fois résilientes et agiles.
Le deuxième blocage repose sur l’idée selon laquelle on n’aurait pas droit à l’erreur. L’erreur est normale. En revanche, on n’a pas le droit ne pas apprendre de ses erreurs. Il n’est pas non plus acceptable de lancer des projets sans objectifs associés. Prenons l’exemple d’une application visant 1 million d’utilisateurs. En cas d’échec, l’important sera de découvrir pour quelles raisons cet objectif n’a pas été atteint. Lancer des mises en production sans réels objectifs, sans savoir ce qu’on cherche, protège certes de l’échec, mais aussi de la réussite. C’est du gâchis.
Le troisième blocage renvoie aux compétences des équipes. En vérité, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises compétences, car l’innovation et le digital concernent tout le monde ; pas plus le marketing que l’IT, le commercial, la production ou la communication. Ce sont d’ailleurs les équipes mixtes qui rencontrent les plus grands succès. Il faut donc privilégier les équipes transverses plutôt que les organisations en silos, qui aboutissent souvent à une perte de vision d’ensemble des besoins du business. Quand un vrai problème se pose, il se pose à tout le monde ; quand une vraie opportunité se présente, elle devient aussi celle de tout le monde.
Le quatrième blocage repose sur l’idée que le digital ne relève que d’un seul secteur d’activité. C’est une erreur de perception ! Tous les business sont aujourd’hui digitaux. Prenons l’exemple d’une crêperie dans une petite ville touristique. La plupart des clients s’y rendront après avoir consulté Trip advisor. Il n’est plus possible désormais de faire une distinction entre les entreprises digitales et les autres.
Numa a pris son essor en France. A cet égard, peut-on parler d’une approche du numérique spécifiquement française, mais aussi d’éventuels blocages spécifiquement français ?
Claudio VANDI : Le système éducatif français favorise la spécialisation et le choix d’un métier très tôt dans son parcours d’étude puis professionnel. Il est donc compliqué ensuite d’accepter l’idée qu’un non-spécialiste puisse avoir son mot à dire, mais aussi que les utilisateurs eux-mêmes soient sources d’innovation. Je n’en observe pas moins une volonté très française de rester compétitif et de s’ouvrir en permanence à la nouveauté.
Encore une fois, au NUMA, nous privilégions la diversité des compétences. Nous travaillons avec des communautés sur des thèmes émergents, avec des startups sur des nouveaux business, avec des entreprises plus établies sur le renouvellement de leur offre et de leur marché. C’est la diversité de ce modèle qui fait la richesse du NUMA.
Est-ce ce modèle que vous vous proposez aujourd’hui d’exporter ?
Oui. Nous voulons nous appuyer sur chacun de ses ingrédients, dosés différemment selon les endroits, pour aborder des écosystèmes en phase de maturation. Nous n’ouvrirons donc pas de Numa à New York, San Francisco ou Berlin, pour privilégier au contraire des villes plus semblables à ce qu’était Paris il y a environ 3 ou 4 ans. Par exemple, nous avons ouvert NUMA Moscou qui réunit à la fois de solides communautés tech, des évènements qui attirent un public grandissant et des startups en phase d’accélération. Par la suite, nous allons créer d’autres joint ventures dans différents pays, là où les besoins seront identifiés. Notre ambition est d’accompagner 700 startups d’ici 2019, dans 15 pays, sur 5 continents.
Selon vous, qu’est-ce qu’une grande entreprise peut apprendre de la collaboration avec les startups ?
Claudio VANDI : Réapprendre à être passionné par son métier, à se sentir responsable, chacun à son niveau, de la réussite d’un projet, d’être capable de prendre des risques et de saisir rapidement des opportunités, de concilier une vision à long terme avec une logique de test et d’amélioration permanente du produit. Renouer finalement avec le goût du risque et l’esprit d’entreprise.
Inversement, qu’est-ce qu’une startup peut apprendre d’un grand groupe ?
Claudio VANDI : La capacité à grandir ! Ce qui suppose de savoir injecter du process, de savoir recruter et créer des équipes, de savoir conquérir, conserver et augmenter le nombre de ses clients.
A cet égard, pensez-vous qu’une startup créée aujourd’hui à la capacité de devenir membre du CAC 40 dans 15 ou 20 ans ?
Claudio VANDI : Oui, je le crois, à la condition qu’elle se fixe pour objectif de grandir plutôt que d’être rachetée par plus grand qu’elle. L’exemple de Blablacar est significatif. Après des débuts difficiles, le premier million d’utilisateurs a été franchi en 2011, et Blablacar est aujourd’hui une entreprise internationale. Elle s’appuie sur un modèle finalement très européen, et français en particulier, qui repose sur la confiance et la proximité, mais aussi sur une culture du risque mesuré et assumé.
Joévin
Journaliste, passionné par le digital, j'ai couvert l’actualité numérique au sein de l’équipe digitale d’Orange Business et accompagné le déploiement du dispositif éditorial appliqué aux blogs et aux réseaux sociaux de l'entreprise.